Vases communicants de février 2013: Christopher Selac

Quai n°4

Ils sont sur le quai. Arrivés en avance, au jour qui hésite encore, il l’a aidé à monter ses valises à bord, puis ils sont ressortis. Le goudron est encore humide, l’air frais, tout pour faire un matin comme un autre. Pourtant aujourd’hui ils se séparent. Ils s’enlacent, s’embrassent, se caressent et se consolent, se promettent mille choses.

Autour d’eux le monde est devenu élastique. Trop lent, trop rapide, le temps s’égrène avant de revenir à son normal déroulement, quand le sifflet retentit, quand il faut regagner le wagon au moment où le vérin referme la porte.



Chaque train en partance est abandon. De quelqu’un. De quelque chose. De quelque instant. Des promesses qu’il emporte toutes n’arriveront pas, toutes ne reviendront pas. Ils sont jeunes, ils s’aiment, et pourtant elle doit partir, loin, longtemps.

Ils sont certains de faire mentir les proverbes, ces « loin des yeux, loin du cœur » que leurs amis leur serinent depuis qu’ils savent. Des certitudes éphémères, qu’ils n’ont qu’ensemble, qu’ils n’ont encore que pour quelques minutes, jusqu’à ce que la motrice ne s’ébranle, et avec elle toutes leurs convictions naïves.

Mêmes horaires, mêmes sillages, mêmes conséquences… Les vies déraillent bien plus souvent que les trains qui les transportent. Déjà, alors que la ville n’est pas encore évanouie, le passager côté couloir lui adresse la parole, elle lui trouve une belle voix. Déjà, alors que le train n’est à peine plus qu’un point au bout d’une ligne de fuite, son regard s’invite vers d’autres jeunes filles.

Résisteront-ils ? Combien de temps ?

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